En 1918 : Font-Romeu dans les pages de la Revue des Deux Mondes

Louis Bertrand, « Font-Romeù – Au pays des Notres-Dames », Revue des Deux Mondes, 6e période, tome 47, 1918 (p. 329-362)

Le titre de cet article, publié en 1918, sera repris dans l’un des chapitres de Font-Romeu, le livre que Louis Bertand publiera en 1931, chez Ernest Flammarion et qui porte en exergue les paroles du « Goigs de Notra Senyora de Font-Romeu » : Y esperit y cor los deixo posats en Font-Romeu (et l’esprit et le cœur, je les laisse à Font-Romeu).

En 1918, quelques semaines avant la fin du conflit mondial, un long article sur Font-Romeu paraissait dans la prestigieuse Revue des Deux Mondes. Signé de l’écrivain et essayiste Louis Bertrand, il compte quelques-uns des plus belles pages écrites à ce jour sur Font-Romeu et ses environs. Sous la plume élégante du futur académicien, la « petite Cerdagne » se pare de l’aura puissante d’une terre de confins et de « passages ». « Coin de terre privilégié immédiatement intelligible pour l’âme », elle se découvre tout à la fois austère « cuve granitique » gardée par de hiératiques sommets aux impassibles visages semblables à ceux des sphinx de l’Egypte antique et somptueux manteau tissé de prairies aux mille fleurs et serti de lacs et de « mouillères ». Étayée par la grande érudition de l’auteur, la description des hommes et des femmes vivant dans ces marches reculées rappelle la diversité des origines ethniques et la richesse des croisements culturels issus des vagues d’invasions successives (Maures, Goths et Francs).

Le récit historique se double d’une approche quasi-ethnographique pour évoquer les travaux et les jours de l’habitant de Haute Cerdagne, indifférent à « l’étranger » — notamment le touriste fortuné en villégiature dans une « station de montagne » à la mode « été comme hiver » comme le vantent les affiches publicitaires de l’époque. Par cette attention à l’autochtone, l’écrivain tient lui aussi à se démarquer de la clientèle de l’hôtel à la terrasse ornée de « torchères de bronze » et de « bordures de géraniums aux vermillons ardents » où il réside (sans nul doute le Grand Hôtel). C’est en amateur éclairé qu’il entend exprimer son attachement à cette contrée, mêlant références érudites et remarques montrant qu’il a éprouvé son pas sur les sentiers, exercé son œil sur la ligne des pics et son oreille aux accents « âpres et sonores » du parler et des chants catalans, comme ces goïgs dont il reprend volontiers quelques refrains.

De fait, la sensibilité poétique qui attache son regard au paysage pour en relever la palette (verte, noire, mauve, fauve, ferrugineuse et perle) et les particularismes géologiques ou climatiques confère à son récit une authenticité susceptible de toucher le lecteur encore aujourd’hui, d’autant si celui-ci est familier du lieu. On soulignera ainsi la curiosité de l’écrivain pour ces « d’énormes amoncellements de roches, visibles de tous les points de la vallée », qu’il compare à des « postes de vigie ». Ou encore pour ce phénomène qu’il nomme « brouillard » et qui s’apparente au flux et au reflux d’une immense mer de nuages, localement appelée « Marin » ou « Carcanet » selon qu’elle déferle en Cerdagne par la vallée de la Têt ou celle du Capcir. On sera également sensible à son plaidoyer en faveur d’un inventaire du patrimoine roman formé par les sanctuaires qui « pullulent » dans le paysage et le maintien de leur mobilier (retables, statuaire, tableaux) dans le lieu en vue de réaffirmer le lien entre les traditions religieuses de la population et le geste de l’artisan ou du bâtisseur médiéval.

Tout le propos de Louis Bertrand est en effet de souligner ces « continuités » qu’il perçoit entre la terre, la langue et les hommes de Cerdagne. C’est dans ce sens qu’il écarte rapidement les très belles mais fugaces impressions visuelles qui informent les premiers paragraphes de son texte pour se concentrer sur les éléments qui sous-tendent sa démonstration, notamment les « notre-dames » de son titre, au premier rang desquelles figure celle de l’Ermitage de Font-Romeu, la « dame du camaril »,  objet d’une éblouissante description. Car le but de l’auteur est bien de prouver que la Cerdagne est l’un de ces foyers où perdure la grande « unité latine catholique » susceptible de participer à la renaissance du pays tout entier, après la victoire sur l’Allemagne. Ainsi, s’il exalte la ferveur religieuse des Cerdans et leur attachement à leurs madones romanes, c’est aussi pour mettre en exergue les racines catholiques de la région et par-delà, de la nation, dans un geste où se mêlent piété et patriotisme. De ce point de vue, on ne sera pas surpris d’apprendre que Louis Bertrand était un proche ami de Jules de Carsalade du Pont, évêque de Perpignan et refondateur de la foi catholique dans le département des Pyrénées-Orientales, notamment à travers ces symboles forts que furent la reconstruction du monastère de Saint-Martin-du-Canigou à partir de 1902 et le soutien au pèlerinage de l’Ermitage de Font-Romeu dont le point d’orgue sera, en 1926, le couronnement de la Vierge de Font-Romeu.

L’article de Louis Bertrand est en accès libre dans le catalogue Gallica de la BNF à partir de ce lien : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32858360p/date

Louis Bertrand (1866-1941) est né en Lorraine. Normalien, docteur ès-lettres, académicien (1925), Chevalier de la Légion d’Honneur (1935), il est l’auteur de 15 romans, 16 ouvrages (récits de voyage, histoire, essais) et 2 recueils critiques. Passionné par l’Afrique latine ancienne. Grand admirateur de Flaubert. Le 4 août 1926, il préside les Floralies des fêtes du couronnement de la Vierge de Font-Romeu (obtenu du pape Pie XI par Monseigneur de Carsalade du Pont). Dans son discours, il réitère son attachement à « l’esprit latin » : « nous latins devons nous unir… nous opposer à la masse des peuples sans âme ».

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